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Métayage et fermage face au droit au respect des biens du bailleur

Civil - Immobilier
10/10/2019
Les juges doivent s’assurer que la conversion d’un métayage en fermage ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens du bailleur au regard du but légitime poursuivi.
Par acte du 12 janvier 1995, une EARL avait pris à bail à métayage, à effet du 11 novembre 1994, des parcelles de vignes appartenant à un GFA. Par acte du 19 novembre 2014, le preneur a notifié au bailleur une demande de conversion du bail à métayage en bail à ferme. Puis, par déclaration du 17 décembre 2014, il a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux à cette fin et en fixation du fermage.
L’EARL était tout à fait en droit de demander cette conversion, étant en place depuis plus de huit ans (v. C. rur. et pêche maritime, art. L. 417-11, al. 4).

Les juges du fond ordonnent alors ladite conversion. En effet, selon eux, et contrairement à ce que soutient le GFA, les dispositions du statut du fermage et du métayage n’ont pas pour effet de priver le bailleur de son droit de propriété, mais apportent seulement des limitations à son droit d’usage. Le GFA fondait en effet son refus sur les dispositions de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et de libertés fondamentales (CEDH). Aux termes de cet article, « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ».

Pour les juges du fond, l’ingérence que constituent les dispositions relatives au métayage et au fermage est prévue par la loi, à savoir les dispositions pertinentes du Code rural et de la pêche maritime.

Ils ajoutent qu’en ce qui concerne le but poursuivi, le législateur national dispose d’une grande latitude pour mener une politique économique et sociale et concevoir les impératifs de l’utilité publique ou de l’intérêt général, sauf si son jugement se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable. La conversion du bail à métayage est fondée sur l’objectif d’intérêt général tendant à privilégier la mise en valeur directe des terres agricoles et spécialement à donner à l’exploitant la pleine responsabilité de la conduite de son exploitation.

Ils reconnaissent qu’il est exact que le paiement d’un fermage, dont le montant est encadré par la loi, peut apporter au bailleur des ressources moindres que la part de récolte stipulée au bail à métayage. Néanmoins, la conversion en bail à ferme n’est pas dépourvue de tempéraments et de contreparties, de sorte qu’un juste équilibre se trouve ménagé entre les exigences raisonnables de l’intérêt général et la protection du droit au respect des biens du bailleur, les limitations apportées au droit d’usage de ce dernier n’étant pas disproportionnées au regard du but légitime poursuivi.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la CEDH, et de l’article L. 417-11 du Code rural et de la pêche maritime.

Selon la Cour, « en statuant ainsi, sans rechercher concrètement, comme il le lui était demandé, si la conversion du métayage en fermage, en ce qu’elle privait le GFA de la perception en nature des fruits de la parcelle louée et en ce qu’elle était dépourvue de tout système effectif d’indemnisation, ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de ses biens au regard du but légitime poursuivi, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
La conversion en bail à ferme est donc peut-être acceptable ; encore faut-il la motiver suffisamment au regard des griefs soulevés.
Source : Actualités du droit